Le développement de la spectroscopie et de la photographie va créer une nouvelle science, l’astrophysique, qui en moins d’un siècle va expliquer la nature, le fonctionnement et l’évolution des étoiles. Nous nous concentrerons ici sur l’aspect historique de l’astrophysique stellaire et n’entrerons pas dans les détails plus techniques puisqu’ils sont le sujet de nombreuses autres pages.
L’américain Henry Draper, docteur en médecine et astronome amateur, est un pionner de l’astrophotographie.
Il prend en 1872 la première photographie du spectre d’une étoile, Véga, mais meurt jeune, à 45 ans.
Sa veuve fait en 1886 un don au Harvard College Observatory qui va permettre à l’observatoire d’établir le Henry Draper Memorial, un projet de catalogue de spectres stellaires sous la direction d’Edward Pickering.
Le travail de photographie, d’analyse et de classification, déjà commencé auparavant, est énorme et il s’agit probablement du premier projet d’astronomie « industriel ».
Edward Pickering embauche d’abord des assistants masculins, mais, frustré par leur manque d’attention aux détails, les licencie et va dorénavant embaucher des femmes pour le travail d’analyse et de classification (elles sont aussi moitié moins chères et ont des possibilités de carrière limitées à l’époque…).
Il commence en 1881 avec Williamina Fleming, sa gouvernante d’origine écossaise, auparavant enseignante, qui devient ainsi la première « calculatrice » de l’observatoire et développe une première méthode de classification des étoiles basée sur l’intensité des raies d’absorption de l’hydrogène (type spectral A pour les raies les plus marquées, puis B, jusqu’au type spectral O où les raies sont presque invisibles).
Antonia Maury, une nièce de Henry Draper, rejoint l’équipe en 1887 et introduit un système de classification plus complexe basé sur la largeur des raies spectrales.
Elle découvre que les étoiles semblent appartenir à deux groupes distincts (que nous reconnaîtrons comme les géantes et la séquence principale), mais Pickering préfère ne pas retenir cette classification, car il la juge trop complexe.
Annie Jump Cannon rejoint l’équipe d’Edward Pickering en 1896 et trouve un compromis entre les classifications de Williamina Fleming et d’Antonia Maury.
Elle crée une classification en sept types spectraux (O, B, A, F, G, K, M) qui organise les étoiles selon leur température de surface.
Cette classification, dite de Harvard, est adoptée par l’Union Astronomique Internationale en 1910 et est encore utilisée de nos jours.
L’astronome la plus connue de l’équipe de Pickering est bien sûr Henrietta Swan Leavitt qui rejoint le groupe en 1893, découvre la relation période-luminosité des céphéides et va révolutionner l’astronomie extragalactique, mais c’est là une autre histoire.
Le chimiste danois Ejnar Hertzsprung commence à s’intéresser à l’astronomie en 1902. Il travaille dans de petits observatoires danois et s’appuie sur la classification d’Antonia Maury pour confirmer deux groupes distincts : les géantes, très lumineuses, et les naines (les étoiles de la séquence principale), plus modérées. Il découvre aussi qu’il existe une relation claire entre la couleur d’une étoile, donc sa température de surface, et sa luminosité absolue. Il publie en 1905 et en 1907 deux articles sur cette relation, mais dans un journal de photographie que peu d’astronomes lisent. L’astronome américain Henry Norris Russell de l’université de Princeton découvre indépendamment cette relation entre couleur et luminosité. En 1913, il présente à une réunion de la Royal Astronomical Society le fameux diagramme qui fait clairement apparaitre géantes et naines en groupes distincts et montre comment la luminosité absolue des étoiles varie en fonction de leur couleur. Ce diagramme, un élément fondamental de l’astrophysique, sera dorénavant connu sous le nom de diagramme de Hertzsprung-Russell (H-R). Le diagramme H-R suggère aux astronomes que les étoiles évoluent au cours du temps, mais la première interprétation est incorrecte. Les astronomes spéculent encore à l’époque que l’énergie des étoiles provient d’une contraction qui libère de l’énergie gravitationnelle, il semble donc naturel à Russell d’imaginer que les étoiles sont d’abord des géantes, migrent très lentement sur le diagramme vers la séquence principale, puis dérivent vers la couleur rouge lorsque leur luminosité décroît.
L’astronome anglais Arthur Eddington, assistant en chef au Royal Greenwich Observatory (et premier vérificateur de la théorie de la relativité générale), est présent à la réunion de 1913 et va trouver l’inspiration dans ce diagramme empirique pour une nouvelle période de recherche. Il va se tourner vers la physique théorique et modéliser les processus se déroulant au sein des étoiles, sous l’effet du combat permanent entre la gravité d’un côté, la pression thermique et la pression de radiation d’un autre. Eddington découvre en 1924 la relation entre masse et luminosité des étoiles et publie en 1926 son traité The Internal Constitution of the Stars où il explique le diagramme de Hertzsprung-Russell par la physique théorique. En particulier, il montre que les étoiles ne migrent pas sur la séquence principale et que le passage d’un groupe à l’autre ne peut être que très rapide avec une forte perte de masse. Il faudra attendre de mieux comprendre la source d’énergie des étoiles pour aller plus loin.
Avec la classification des étoiles mise au point par les calculatrices du Harvard College Observatory et les progrès liés à la publication du diagramme de Hertzsprung-Russell, l’étape suivante dans l’étude des étoiles est une compréhension plus approfondie de leur composition et l’investigation de la source de leur énergie.
Née en Angleterre et éduquée à Cambridge, Cecilia Payne émigre en 1923 vers les Etats-Unis pour de meilleures perspectives de carrière et va rejoindre Harlow Shapley, directeur du Harvard College Observatory depuis 1921. Elle s’appuie sur le travail théorique de l’astrophysicien indien Meghnad Saha sur l’ionisation des gaz pour étudier la relation entre type spectral d’une étoile et température à sa surface. Elle finit sa thèse en 1925 et montre que les raies spectrales d’une étoile sont déterminées par l’ionisation du gaz à sa surface, donc par sa température, pas par sa composition chimique. Les types spectraux observés par les calculatrices d’Edward Pickering s’expliquent donc par une gamme de température, non par une gamme de composition chimique. Découverte encore plus remarquable, Cecilia Payne met en évidence, pour la première fois, que les étoiles contiennent beaucoup plus d’hydrogène et d’hélium que d’éléments plus lourds comme le carbone ou le fer, donc que l’hydrogène est l’élément le plus abondant dans l’Univers. Malheureusement, elle est en avance sur son temps, la communauté astronomique spécule encore que la composition des étoiles doit être très similaire à celle de la Terre. Henry Norris Russell, l’une des autorités de l’époque, va la convaincre de présenter ce deuxième résultat comme erroné.
Au début du siècle, la source d’énergie des étoiles reste encore un mystère. La meilleure explication proposée jusqu’alors, la transformation de l’énergie gravitationnelle en chaleur par contraction, permettrait seulement à une étoile de type solaire de briller pendant quelques dizaines de millions d’années. Mais les observations accumulées par géologistes et biologistes sur l’évolution de notre planète indiquent déjà à l’époque que le Soleil doit avoir brillé pendant des centaines de millions d’années. C’est du niveau subatomique que va surgir la réponse. La radioactivité de l’uranium est découverte en 1896 par Henri Becquerel, le polonium et le radium par Marie Curie en 1898. Le radium est beaucoup plus radioactif que l’uranium et montre qu’il existe au cœur de la matière une source d’énergie extraordinaire. Les éléments lourds comme l’uranium et le radium sont cependant trop rares pour expliquer l’énergie du Soleil. L’équivalence entre masse et énergie est proposée en 1900 par Henri Poincaré et établit comme un principe général par Albert Einstein en 1905. Cette équivalence montre que la matière peut être transformée en énergie et produire une quantité d’énergie beaucoup plus grande que les réactions chimiques. En 1915 et 1919, respectivement, le chimiste américain William Draper Harkins et le physicien français Jean Perrin spéculent de façon indépendante que les étoiles obtiennent leur énergie de la transformation de l’hydrogène en hélium, sans pouvoir fournir de détails très précis. En 1920, le chimiste britannique Francis William Aston prend des mesures très précises de la masse des atomes et montre que la masse d’un noyau d’hélium, composé de deux protons et de deux neutrons, est plus faible que la masse de quatre protons libres, d’environ 0.7 pour cent. Arthur Eddington comprend l’importance de ce résultat et suggère que, si les étoiles transforment leur hydrogène en hélium, cette différence de masse au niveau atomique est libérée sous forme d’énergie. La célèbre formule d’Einstein lui permet d’estimer cette énergie et Eddington montre qu’une étoile de type solaire peut de cette façon briller pendant des milliards d’années.